Anne Van der Linden peint l'éternité des sens cachés, tabou.

mercredi 16 avril 2003, par Frédéric Vignale-Thomas

Les peintures et dessins d'Anne Van der Linden (dites AVDL si vous ne voulez pas avoir l'air couillon) sont un oasis libertaire dans un monde de brutes.
Il ne faudrait pas se tromper de débat ou de cible. La véritable violence n'est pas dans des représentations sensibles. La peinture et les audaces parfois provocantes d'Anne ne sont que les échos et les témoignages d'une justesse absolue qui racontent le monde avec talent.
L'univers plurisexuel, hermaphrodite, diforme et cruel généré par la créativité de la belle est en ce sens une véritable écriture historique qui prend aux tripes.
Rien n'est anodin et facile chez elle, AVDL raconte à sa manière avec ses armes, ses angoisses et son côté à fleur de peau son siècle tourmenté en passant par l'abstraction d'un monde réinventé par ses visions, un espace de désirs et de beauté hors norme qui a ses régles, ses drames et ses petits bonheurs furtifs.
Il ne faut pas passer son chemin à côté d'un travail si plein de signifiés, d'originalité, d'une démarche aussi vraie et aboutie. Il convient même d'entrer dans ses paradis artificels colorés d'un autre temps. Il faut soutenir Anne, l'aider à exposer, lui acheter des œuvres, lui donner les moyens d'aller au bout de ses fêlures et de ses rêves d'enfer et de paradis...

1. Bonjour Anne Van der Linden. Ca doit finir par vous agacer "grave" comme disent les jeunes que l'on n'envisage trop souvent votre travail pictural ou vos participations à des shows Trash sociétaux sous l'angle de la morale ou du bon goût, en oubliant une chose essentielle et formatrice chez vous ; la liberté totale dans le geste et l'attitude ?
En tous cas ça ne m'étonne pas vraiment : mes thèmes sont assez flamboyants (sexe, violence...) pour que les gens en quête de catégorisations soient éblouis et aveuglés au premier abord. Il y a d'autres types d'interprétations tout aussi funestes et réductrices, comme par exemple l'interprétation psychanalytique sommaire, bien plus assassine encore que les formules tapageuses vite faites de certains journalistes. Je suis d'autant émue (et mon ego ronronne) quand des personnes comme vous ou Caroline Langer rentrent vraiment dans le jeu en parlant de mon travail.

2. Il y a bel et bien un univers AVDL au-delà d'une patte fortement reconnaissable de faiseuse d'images, que vous maniez si bien. Ces rêveries qui paraîtront aussi bien cruelles que belles suivant le niveau de perception et l'intelligence du contempteur sont-elles obsédantes. Vous nourrissent-elle ou vous épuisent ?
UNE IMAGE NAIT TOUJOURS D'UNE AUTRE, OU D'UN BOUT D'UNE AUTRE, C'EST COMME UNE ENQUETE SANS FIN, OU POUR L'INSTANT J'AI PAS TROUVE LA FIN QUI SERA SANS DOUTE EFFECTIVEMENT L'EPUISEMENT.

3. Lorsque j'entre dans vos tableaux, j'entraperçois toute une iconographie médiévale, dois-je me faire soigner ou revendiquez-vous pleinement cette temporalité historique ?
J'AIME BEAUCOUP LES GRAVURE DU MOYEN-AGE, LA RIGIDITE DES FIGURES ARCHETYPALES QUI N'EXISTENT QUE PAR LE SENS QU'ELLE PORTENT, A UNE EPOQUE JE M'EN INSPIRAIS DIRECTEMENT, CA M'A UN PEU PASSE. MAIS L'IDEE EST RESTEE LA MEME, LOIN DU REALISME CE SONT DES CORPS MODELES (ET SOUVENT DEFORMES, MIS A MAL) PAR L'ESPRIT.

4. Dans vous univers parallèle et métaphoriques, il y a une forte récurrence de l'androgynie et de l'hermaphrodisme. En quoi le thème du transgenre vous fascine t'-il ?
JE SUIS TOUJOURS CONTENTE DE PEINDRE DES HERMAPHRODITES, CA ME SATISFAIT, CE SONT DES FIGURES RECONCILIEES, COMME SI TOUTE LA TENSION VENAIT DE L'OPPOSTION DES SEXES, DE LA GUERRE PERMANENTE QUI NE CESSE QUE PENDANT QUELQUES SECONDES DE JOUISSANCE.

5. Est-ce que le label "underground" parisien qui tourne autour de votre personne ne déprécie pas un peu votre travail, ne le met pas dans une sorte de ghetto déplaisant ?
AU MOINS J'AIMERAIS QUE L'UNDERGROUND PARISIEN EXISTE BIEN, C'EST A DIRE UN RESEAU DE CREATEURS REFUSES PAR LE MARCHE POUR CAUSE DE SUBVERSION DES REGLES ET FONCTIONNANT EN RESEAUX... MAIS C'EST PAS EVIDENT, IL ME SEMBLE QUE JE SUIS LA SEULE TAUPE DE MON SOUTERRAIN... SINON EVIDEMMENT SORTIR DU SOUTERRAIN SIGNIFIERAIT + DE MONNAIE, ET CA SERAIT PAS SI MAL.

6. Si vous aviez un empire vous, vous en feriez quoi impératrice Anne ?
JE LE VENDRAIS A L'ENNEMI.

7.. Qu'est-ce que la véritable indécence, la vulgarité et la merde pour vous ?
LA POLITIQUE ET LE JEU DES PUISSANTS, C'EST VRAIMENT LE SOMMET DE LA MERDE CES TEMPS-CI.

8. Dans quelle famille de peintres, de plasticiens morts ou vivants trouvez-vous une sorte de fraternité ?
AUCUNE. (MAIS J'AIME TOUTES SORTES DE CHOSES, DE MALEVITCH A DURER, OU BEARDSLEY OU CRUMB OU FASSBINDER). LE FAIT EST QUE JE SUIS ASSEZ ISOLEE DANS MON TRAVAIL. JE TRAVAILLE PARFOIS SUR DES PROJETS (SUROUT EDITORIAUX) AVEC LES ARTISTES DE LA MOUVANCE BAZOOKA (ANNEES 80) PARCE QU'ILS SONT MARRANTS, ONT LE GOUT DE LA SUBVERSION ET QU'ON A DES INTERETS COMMUNS PARCQU'ON EST TOUS EN MARGE. MAIS EN GROS ILS N'AIMENT PAS MA PEINTURE, NE COMPRENNENT PAS TROP MON GOUT UN PEU BAROQUE, UN PEU HORS DU TEMPS, EUX SONT PLUS GRAPHISTES BEDEISTES. QUANT AUX PEINTRES-PEINTRES, JE LES TROUVE SOUVENT RASOIR, ET EUX ME TROUVENT IMPOSSIBLE... SANS PARLER DES CONCEPTUELS...LES PIRES SECTAIRES COLLABOS EN PLUS...

9. Contrairement à ce que l'on pense la peinture est un des derniers tabous de la représentation, bien plus que la photographie, le cinéma ou tout autre forme d'art, vous êtes d'accord avec cette idée ?
CA M'ARRANGE EN TOUS CAS, MAIS C'EST VRAI QUE JE SUIS TOUJOURS MAL A L'AISE AVEC UN APPAREIL PHOTO OU CAMERA, JE ME SENS VOYEUSE ET CA ATTISE MON SENTIMENT COUPABLE, J'AI L'IMPRESSION D'EJACULER VITE FAIT SUR LE SUJET... ET CETTE IMAGE SI LISSE... AVEC LE PINCEAU JE FROTOUILLE DOUCEMENT ET CA VIENT COMME CA, MINE DE RIEN, JE RETAILLE LE MONDE A MA MESURE.

10. Ce qui est assez compliqué à définir dans vos démarches créatrice c'est votre propre positionnement face à la création, ni tout à fait militante, ni passive, ni révolutionnaire et encore moins démago. Pourquoi peignez-vous ?
POUR PASSER LE TEMPS DE LA MEILLEURE MANIERE POSSIBLE. JE NE PEUX RIEN FAIRE D'AUTRE, J'AI ESSAYE DES BOULOTS MAIS JE ME DECONCENTRE TRES VITE, TRES MAUVAISE EMPLOYEE... AVEC LA PEINTURE JE SUIS TRéS SERIEUSE, J'ESSAYE SERIEUSEMENT DE ME RENDRE LE MONDE FAVORABLE... JE CROIS QUE C'EST CA MAIS LA QUESTION EST DIFFICILE... EN EXPLIQUANT QUE C'EST COMME CA, SOUS LA SURFACE CA SE PASSE COMME CA, LES RELATIONS SONT DE TEL TYPE, LES MOTIVATIONS TENDENT VERS TEL BUT, OU QUAND JE PARLE A UNE PERSONNE CE QUI SE SOUS-ENTEND OU QUAND JE VAIS FREQUENTER TELLE SITUATION VOILA LES ENJEUX REELS TELS QUE JE LES VIS ET LES SUBIS SOUVENT, CAR C'EST UN MONDE DE CRUAUTE ET DE VIOLENCE ET DE DESIR ET J'EN RESSENS LE CHOC VIOLEMMENT. CE QUI EST VECU EN VRAC ET DANS UN INTENSITE EMOTIONNELLE SE RESOUD DANS LA PEINTURE ET D'UNE CERTAINE MANIERE CA S'ORDONNE DONC CA S'EXPLIQUE DONC C'EST PLUS TOLERABLE, PARFOIS C'EST MEME JOUISSIF.

11. Il n'y a aucune sorte d'agression ni de provocation facile dans vos visions, pourtant bon nombre d'observateurs doivent les trouver choquante surtout que vous êtes une femme. Il doit y avoir tout de même une sorte de jubilation à accoucher d'hybrides non consensuels non ?
ENFANT JE CROYAIS A MES DIVINS PARENTS, J'OBEISSAIS A LEUR LOI... J'AI ETE DECUE ENORMEMENT ET DEPUIS JE NE CROIS PLUS PERSONNE, IL N'Y A PAS DE FIGURE DE REFERENCE, JE SUIS JETEE DANS LE MONDE ET CONDAMNEE A GESTICULER POUR CREDITER MON EXISTENCE...

12. Il y a une grande part de mystique et non de religieux dans vos Eden tourmentés ?
LA MYSTIQUE DES CREUX ET DES BOSSES, DES EMBOITEMENTS...

13. Vous faites un énorme travail de réflexion sur le corps, vous semblez être davantage une corporelle, une sensitive, une intuition et une sensuelle qu'une théoricienne intello, votre langage est dans ces appels originels et transgéniques ? Ecrire pour vous c'est dire moins bien ?
L'ECRITURE EST PLUS ANCREE DANS LE CONTEXTE, (DITES-MOI SI JE ME TROMPE) L'IMAGE EST PEUT-ETRE PLUS DEGAGEE... EN FAIT J'AI UNE FORMATION ASSEZ LITTERAIRE, JE LIS BEAUCOUP ET J'AIME BEAUCOUP CA, JE M'EXALTE FACILEMENT AVEC LA LECTURE, ALORS QUE L'IMAGE C'ETAIT POUR MOI AU DEPART LA ZONE INTERDITE, CE QUI M'ETAIT LE PLUS HERMETIQUE. PUIS J'AI COMMENCE A DESSINER SANS Y PRENDRE GARDE,A L'EPOQUE JE FUMAIS DU HASCHICH ET JE LAISSAIS LES CHOSES VENIR, JE SUIS PARTIE D'ENTREE SUR UN MODE D'IMPROVISATON LIBRE, CA A MARQUE MA FACON DE FAIRE.

14. A quoi reconnaissez-vous un bon tableau d'AVDL, comment les jugez-vous,les détestez-vous avec le temps ? Quelle et votre rapport affectif avec votre production ?
JE LES DETESTE FACILEMENT PENDANT LA FABRICATION, C'EST DIFFICLE PARFOIS, VRAIMENT. AUSSI LA VISION QUE J'EN AI EST FLUCTUANTE, ELLE DEPEND DE MON HUMEUR, FATIGUEE JE NE VAIS VOIR QUE DES MONSTRUOSTES ENVHISSANTES, ET PLUS TARD TOUT S'ORDONNE A MA VUE... ET J'AVOUE, J'ADMIRE...PUIS UNE FOIS QUE D'AUTRES GENS LES ONT VUS, CA LES STABILISE DEFINITIVEMENT, ILS ACQUIERENT UNE LEGITIMATION ETRANGERE QUI ME DEPOSSEDE MAIS ME PLAIT AUSSI. J'ADORE ENTENDRE LES INTERPRETATION QUE PEUVENT DONNER LES GENS SUR MES TOILES, PARFOIS C'EST HALLUCINANT, TRES ELOIGNE DE MON IDEE A MOI ET POURTANT CA SE TIENT AUSSI, POUR PEU QUE LA PERONNE N'AIT PAS TRICHE. SI AU BOUT D'UN MOMENT JE JUGE QUE C'EST VRAIMENT TROP MAUVAIS JE JETTE, J'AIME BEAUCOUP JETER D'AILLEURS.

15. Quelle est la petite phrase ou musique intérieure qui vous accompagne,celle qui vous donne de la force de continuer à peindre, à vivre ?
RIEN DE CA, C'EST MA CHIMIE INTERIEURE QUI FONCTIONNE PLUS OU MOINS BIEN, PARFOIS MORBIDE... MAIS PARFOIS IL Y A CETTE VITALITE ENORME, CETTE ENERGIE "POUR RIEN"...

16. Quelle trace souhaiteriez-vous laisser dans l'imaginaire collectif ?
UNE TRACE SALE SI POSSIBLE.

17. J'ai beaucoup aimé vos romans photos, ils prouvent que vous êtes surtout une metteur en scène talentueuse quel que soit le vecteur ?
MERCI, EN FAIT CE SON TROIS COURT-METRAGES QUE J'AI REALISEE IL Y A QUELQUES ANNEES, J'AVAIS ENVIE DE FAIRE BOUGER MES PEINTURES, DONC J'EN AI EXTRAIT LES THEMES ET LES AI REMANIES EN PETITES FICTIONS, AU NIVEAU DES ACTEURS CA S'EST PASSE ENTRE AMIS, ET J'AI DES AMIS TRES TALENTUEUX, MAIS POUR LA REALISATION JE ME SUIS MAL ASSOCIEE, CA S'EST MAL PASSE ET DU COUP JE N'EN AI PAS REFAIT DEPUIS.

18. La peinture et le dessin vous ont sauvé de quoi finalement ?
JE NE SAIS PAS.



Frédéric Vignale-Thomas est né en 1973 dans la même ville que Verlaine, ce qui est d'ailleurs un des rares points communs que l'on puisse lui trouver avec le poète maudit. Touche-à-tout compulsif et mégalomane à tendance hystérique, il est le fondateur de la revue 'Maison Clause', le président du club des fans de Gérard Oberlé et d'Anna Mouglalis, créateur de la maison virtuelle de la délicieuse Franca Maï. Il a même été furtivement chroniqueur Internet mal aimé chez Christophe Dechavanne à l'émission "Ciel mon Mardi". Il est l'auteur de "E-terviews" et publiera un premier roman début 2004.