NOVA magazine
Février 2002
NOVA MEUT)rT'[rissure] D mo(R)Ts]L'MenT[
Parade organique
LA JOUISSANCE QUI DECHIRE.
Dans le livre «K.or t(OR)Tu (R) &» la peintre Anne Van der Linden change la torture et jouissance pure. Portrait d'une fille qui aime le sexe à cru, bien saignant.

« Après avoir vu mes tableaux, il y a des gens qui viennent me traiter de cochonne en disant : "Eh bien, t'aimes ça dis donc!", "Sucer des bites, ça doit te travailler". Je leur réponds : "Evidemment!" mais ça les choque ». Anne Van Der Linden peint beaucoup d'images sales. Elle fait subir les derniers outrages à  des corps crucifiés, ceux de tous ses amants et de leurs amoureuses, avec un plaisir évident : même ligotés, même éventrés, ils jouissent. Alors elle les met à l'étal d'un plaisir déchirant et les empale sur de vertigineuses foreuses.
« Le sexe et la violence ça parle à tout le monde, dit-elle. Certains trouvent mes tableaux brutaux, conflictuels, repoussants. Et pourtant moi je peins le paradis ».l'écrivain Thierry Zalic confirme : « Des observateurs à l'esprit étroit pourraient être horrifiés par des scènes de dévoration d'intestins, par ces stigmates décorant les peaux, ces hommes à vulves et ces femmes à bites, ces enculades, ce sang coulant des dents de femmes vêtues sagement de tailleurs. Mais moi, je ne me trompe pas. Je vois là le Jardin des Délices originel où les transgressions n'existent pas. Pourquoi Dieu a-t-il fait le cri de plaisir si proche de celui de la souffrance ? ».
Par-delà le bien et le mal, Anne van Der Linden met en scène la parade sauvage. Celle des ogresses et des sadiques, des monstres à  queue de serpent, des mariées aux bras chargés de pénis turgescents. « Elle peint des bites comme on peint un bouquet », explique Z, un ami. «Sa peinture est aussi bizarre que les animaux d'Amazonie », ajoute Costes, un autre ami. Dans les tableaux d' AVDL (« son nom ressemble à  quatre seins »), les fauves allaitent des agneaux qu'ils éviscèrent avec tendresse. « Les intestins, c'est souple raconte Anne, c'est comme les cheveux, ça ligamente, ça connecte en enrobant ». Elle aime bien aussi les longs étrons en forme de bite ou de petits golems, les seins pointus, les dents qui serrent fort, les clitoris qui ressemblent à des barbelés. «Comment savoir si quelqu'un est vivant si tu ne lui donnes pas un coup de couteau, un coup de bite? » demande Anne. Peu importe le coup : elle est obsédée par la vie. Mais la vie, c'est dur. C'est dur et ça fait mal. « Moi je souffre beaucoup, dit Anne. La société c'est surtout la répression. Volonté de puissance, saloperies, violence quotidienne, permanente, insupportable...»
Face aux petits machos, aux puritains, aux viragos, Anne dresse des tableaux comme des caricatures. Ce n'est plus le théâtre, c'est la comedie de la cruauté! Déculottés, bouffons, grotesques, ses personnages bandent avec des queues d'âne, sur fond de svastikas brisées. Fille d'une mère juive polonaise, Anne n'a pas peur de dessiner cette croix, d'abord emblème sacré de l'Inde avant d'être détourné par les nazis.
Entre désir, sacré, chaos et solitude, Anne fait tourner sa croix dans tous les sens. « Elle est double, explique Thierry Zalic. D'un côté elle peint des entrailles et des excréments, mais son miroir renvoie des pépites, des rubis, des topazes. Elle dit peindre la violence sociale mais son double tourne la roue de notre destin. Le chaos pour l'une, une simple tombola pour l'autre dans un jeu de vie où la jouissance est organisée comme un enfer ».
Pour Anne, il y a le désir, et puis aussi la société, mais c'est le désir qui sort grand vainqueur de cette lutte perpétuelle.

Agnès Giard.
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